Glyndebourne, un opéra dans un jardin.
/Créé en 1934 dans le parc d'un domaine anglais du Sussex, le Festival de Glyndebourne n'en finit pas depuis plus de quatre vingt années de faire résonner Mozart (le premier célébré) et Haendel, Britten et Strauss, de marier le bocage et le chant, les rameaux et le ramage des plus élégants interprètes lyriques. Associée dans l'imaginaire collectif aux pique niques qu'une certaine société déguste à l'entracte, cette institution bénéficie d'une salle à l'acoustique idéale qui a su s'ouvrir à des compositeurs, à des œuvres et à des metteurs en scène d'une grande diversité.
La saison 2021 semble surtout rappeler sa haute tradition d'excellence.
Cosi fan tutte a inauguré le premier festival : le revoici à l'affiche dans la production signée Nicholas Hytner dont on ne lasse pas, lumineuse et cruelle, tendre et piquante, raffinée et amère. En Fiordiligi qu'elle a chanté à l'Opéra de Paris en 2017, la jeune suédoise Ida Falk Winland fera valoir toute la grâce d'une voix formée au répertoire mozartien (Pamina, Donna Anna). A ses côtés, Stephanie Lauricella chante Dorabella, rôle endossé avec un vif succès à Berlin, Paris, Hambourg, Stuggart. Alexey Neklyudov est un jeune ténor russe plus que prometteur. En Tamino, Don Ottavio et Ferrando, il a démontré ses affinités avec l'univers lyrique de Mozart. Faut-il présenter Alessandro Corbelli dont le Don Alfonso plein de verve... et de sagesse contrastera plaisamment avec nos jeunes gens pris au piège d'une bien édifiante épreuve ? Dirigé par Riccardo Minasi, ce Cosi promet subtil sourire et cette égratignure du cœur que chante cet opéra sublime.
Élu du premier jour, Mozart a fait de Glyndebourne un autre de ses royaumes. Et un royaume vraiment enchanté pour cette Die Zauberflöte que dirige Constantin Trinks, grand spécialiste de... Wagner et chef lyrique plus éclectique puisque on lui doit une Flûte enchantée à Paris, une Arabella de Strauss et un Cosi de Mozart à Munich. Drôle, inventive, savoureuse, cohérente,cocasse, innovante, la proposition que signent Barbe et Doucet situe l'action au début du XX° siècle dans un hôtel viennois de fantaisie où les cuisines affrontent crânement et victorieusement une propriétaire acariâtre. Sarastro règne en maître au royaume des casseroles, La Reine de la Nuit cherche à conserver son pouvoir. Deux images entre cent : Papageno revêtu d'un incroyable costume à carreaux verts voit jaillir de sa malle oreillers et couvertures convertis en légers volatiles, quand Papagena accouchera dans une scène d'anthologie d'une progéniture vivement braillarde. Tout est ici surprise, couleurs, mouvements. Partenaire en concert de Rolando Villazon ou de Roberto Alagna la soprano australienne Siobhan Stagg chantera Pamina, rôle qu'elle a interprété déjà à Berlin. Je l'ai entendue à Toulouse dans Liberta composé par Raphaël Pichon d'airs de Mozart : c'était un … enchantement.
Vidéos d'extraits de cette production :
https://www.youtube.com/watch?v=HFbJOlOVUUs&feature=emb_rel_end
https://www.youtube.com/watch?v=yCCRg4593hI
https://www.youtube.com/watch?v=ed1RBWlRm4M
https://www.youtube.com/watch?v=6pMhbZ2sEs0
La veine comique est à l'honneur encore avec Il Turco in Italia. L'opéra bouffe de Rossini constitue une des trois créations du Festival 2021. C'est à la française Mariame Clément qu'on a confié la mise en scène. Sa lecture d'une intelligence rare de Castor et Pollux créée à Vienne en 2011 et présentée à Toulouse en 2015nous avait enthousiasmés. Ses affinités avec l'univers de Rossini se sont épanouies par une fréquentation régulière : Il Signor Bruschino en 2004, Le Comte Ory en 2008, Il Barbiere di Siviglia en 2008, Armida en 2015 à Gand et repris à Montpellier en 2017. Cette cinquième « collaboration » devrait réjouir les festivaliers. Nous avons applaudi, subjugués et émus, Elena Tsallagova dans La petite Renarde rusée de Janacek et Pelléas et Mélisande, deux grandes productions de l'Opéra de Paris. Sa sensibilité, sa finesse, la délicatesse d'une voix souple et brillante y faisaient merveille. Dans le rôle plus extraverti de Fiorilla, elle saura déployer les scintillements et la virtuosité qui l'ont vu triompher dans ses récentes Violetta (La Traviata)), Gilda (Rigoletto) ou Corinna (Le Voyage à Reims).
Deuxième création, Katia Kabanova de Janacek qui ouvrira les festivités le 20 mai 2021.
Le compositeur tchèque a eu l'honneur d'un cycle commencé en 1988, avec Katia Kabanova précisément, dans une mise en scène de Nikolaus Lenhoff avec Felicity Palmer (Kabanicha) et Nancy Gustafson dans le rôle titre. Puis suivirent Jenufa en 1989, en 1995 l'Affaire Makropoulos, en 2012 La petite Renarde rusée, reprise en 2016 [avec Elena Tsallagova que l'on retrouvera cette année dans Il Turco in Italia). C'est donc une nouvelle production du chef d’œuvre du compositeur tchèque que propose Glyndebourne. A la régie Damiano Michieletto auquel on doit tant de réalisations sur les scènes lyriques, et singulièrement à Barcelone et à Madrid. Son Alcina avec Cecilia Bartoli à Salzbourg en 2019 a fait l'unanimité. Il proposera en février 2021 à Berlin sa vision de Jenufa (direction musicale Sir Simon Rattle). Pour Katia Kabanova, Glyndebourne réunit la soprano tchèque Katerina Knezikova,le ténor britannique David Butt Philip et la mezzo-soprano suédoise Katarina Dalayman accompagnés par le London Philharmonic Orchestra dirigé par le directeur musical des lieux Robin Ticciati.
Enrique Mazzola à la baguette, Christof Loy à la régie, une équipe de choc pour la troisième création du festival 2021, Luisa Miller de Verdi. Le metteur en scène allemand est un maître. Quels que soient les univers musicaux qu'il explore, il impose ses projets audacieux, la force de ses images, l'intensité des situations, la rigueur du dispositif et de la direction d'acteurs : on se souvient de son Cappricio de Strauss à Madrid (2019), de sa Tosca captée à Helsinki (2018), de son Ariodante à Monte Carlo l'année dernière et du Macbeth du Liceu en 2017 ou de la plus contestée, mais ô combien réfléchie Force du Destin proposée à Amsterdam et à Londres, pour se limiter aux spectacles les plus récents. On a bien connu Enrique Mazzola à la tête d'orchestres français et on sait sa fougue et sa passion du chant. Il dirigera celle qui fut Violetta à Barcelone, à Londres, à Zurich, à Munich, à Rome, l'exaltante soprano russe Kristina Mkhitaryan face au biélorusse Vladislav Sulimsky, spécialiste des grands rôles de baryton verdien. L'élégant Charles Castronovo sera Rodolfo à leurs côtés. Un cast éblouissant.
Wagner aux champs ? Il a fallu des lustres et des lustres pour que le festival de Glyndebourne (et la jauge de sa salle initiale) accueillent le maître de Bayreuth. Mais alors avec quel faste, quelle qualité artistique ! Récemment (2011) ce furent Die Meistersinger von Nürnberg dans la somptueuse mise en scène de David McVicar’s. Mais l'événement majeur date de 2003 avec la production de Tristan und Isolde, reprise en 2007 (avec Nina Stemme et Robert Gambill) et 2009 (avec Anja Kampe et Torsten Kerl). Pour 2021, Robin Ticciati, chef charismatique à la fois souple et rigoureux, dirige la célèbre production intemporelle et abstraite de Nikolaus Lehnhoff, avec ses ellipses bleutées, sa dimension cosmique, ses escaliers labyrinthiques conçus par le designer Roland Aeschlimann : la scénographie, les lumières, les costumes dessinent un univers glacé dans lequel chaque protagoniste reste tragiquement isolé. Nikolaus Lehnhoff s' y révèle le disciple inspiré de Wieland Wagner. Tristan sera le puissant et sensible ténor Simon O’Neill qui chante les grands rôles wagnériens (Parsifal, Siegmund, Siegfried) sous les baguettes de Barenboim, Petrenko, Gergiev. Il était Siegmund à Glyndebourne en version concert en 2017. Miina-Liisa Värelä pourrait s'avérer la révélation de cette série de représentations. Wagnérienne accomplie – elle a été Sieglinde, Orturd, Senta, Elsa -, la cantatrice finlandaise, encore peu connue, endosse le rôle mythique d'Isolde. Le défi est à la portée de cette voix ample qui sait allier noblesse, force, pureté et émotion. Bravo à l'équipe artistique du festival de proposer des « challenges » aussi excitants.
L'été 2021 à Glyndebourne réserve ainsi de belles surprises et des productions à la fois respectueuses de la tradition et inventives. Bienheureux festivaliers !
JJ