RING au Semperoper, Dresden
/S'il ne fallait qu'une seule raison pour aller à Dresde entendre le Ring en janvier février 2021, elle relèverait de l'évidence : Christian Thielemann. Faute de répétitions suffisantes naguère pour un Siegfried, le chef allemand avait menacé un temps de ne plus diriger dans ce théâtre. Nul doute qu'on a donné à un des plus grands wagnériens du moment - le meilleur pour beaucoup - toute garantie pour mener à bien l'intégralité du cycle. Les spécialistes diront combien de Ring il a dirigés à Dresde, à Salzbourg, à Vienne, et avec quel succès. En 2021, il reprend la baguette devant un orchestre phénoménal, la Chapelle musicale de Dresde (Sächsische Staatskapelle Dresden), dont il sait tirer les plus profonds, les plus suaves, les plus puissants, les plus tendres effets. Quand à la fin de l'Or du Rhin, la mise en scène de Willy Decker fait descendre sur l'orchestre et son chef une lumière qui les enveloppe d'or, chacun ressent ce qui est ici célébré : la partition de Wagner illuminée par un immense musicien, à la fois démiurge et orfèvre, respectueux et inspiré, impérial et humain, visionnaire et rigoureux. L'Or de l’œuvre portée à incandescence.
La distribution justifierait encore le voyage, et d'abord la présence éclatante de Stephen Gould, Siegmund idéal et Siegfried de rêve, voix puissante et riche, d'un acier inaltérable et capable de couleurs infinies, de nuances subtiles. Le Wotan de Michael Volle, voix sombre, élégante, souvent bouleversante, toujours généreuse, si intensément dramatique, sera tout aussi anthologique que ses autres grands rôles wagnériens ou straussiens. Christa Mayer avec ses graves nobles, sa présence scénique indéniable sera tour à tour Erda, Fricka ou Waltraute. La musicienne expérimentée qu'est Petra Lang, soprano au solide tempérament théâtral saura donner à ses Brunhilde toutes les couleurs et la palette des sentiments dont Wagner l'a dotée. Et on se laissera impressionner par la somptuosité des voix d' Albert Dohmen, Falk Struckmann et George Zeppenfeld, barytons et basses imposants. Jennifer Holloway qu'on a connue mezzo convaincra aisément de la réussite de sa reconversion en frémissante Freia, en amoureuse Gutrune et en douloureuse Sieglinde. Cette production renouvelée a ainsi l'immense mérite de distribuer une équipe de chanteurs dans les rôles successifs de la Tétralogie, accentuant la cohérence d'une conception d'ensemble confiée au même chef et au même metteur en scène.
La régie est signée Willy Decker et s'est développée par volets successifs et dans le désordre chronologique dans le début des années 2000. Sa force et son intelligence sont soulignées par la récurrence d'un motif dramaturgique signifiant : sur scène, des rangées de fauteuils de théâtre introduisent dans un univers baroque dont le puissant mais fragile Wotan serait le maître d’œuvre. Ce vaste « théâtre du monde » déploie son architecture jusque dans la salle qui semble devenir le prolongement de la scène impliquant, incluant les spectateurs dans la tragédie politique et philosophique qui se joue. Point d'uniformité paresseuse cependant : durant les quatre épisodes, le procédé varie et de nombreuses trouvailles originales émaillent le déroulement inexorable de l'action et le lent crépuscule des dieux. Ajoutons que la direction d'acteurs, affûtée par des années de production, s'avère un des grands atouts d'une réalisation scénique efficace et lisible, à l'appréciable continuité dramatique et cultivant l'art des images saisissantes.
Ainsi servi, le Ring de Dresde promet d'être une nouvelle fois l'événement musical qui fera accourir cet hiver dans la capitale de la Saxe tous les amoureux de Wagner.
JJ pour weOpera
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